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    17 avril 2011

    Plébiscité par le grand George R. R. Martin en personne, je ne pouvais pas faire l’impasse sur cette lecture ! Et je dois dire que je comprends son engouement, le premier tome de cette tétralogie se révélant fort sympathique et novateur.

    L’histoire commence dans un vieux temple où l’on fait suivre un entraînement rigoureux à de jeunes garçons, dans l’espoir de les transformer en « poètes ». Ici, rien à voir avec la poésie en elle-même, les poètes étant des espèces de magiciens qui donnent « vie » à leurs sentiments pour créer de toute pièce des êtres puissants, qui seront ensuite utilisés dans les sphères de pouvoir. Cette manière de personnifier ses sentiments m’a un peu rappelé les invoqueurs et leurs chimères dans la saga FF (pour ceux qui connaissent le jeu). Ces êtres ainsi créés sont appelés « andats » et peuvent avoir des fonctions différentes : agir sur les récoltes, sur le temps, etc. Les retombées sont donc principalement économiques et les cités qui possèdent des poètes personnels sont les plus opulentes et les plus prospères. En ressort une lutte de pouvoir et un jeu d’intrigues politiques et économiques particulièrement complexes. Heshai, le poète de Saraykeht, est un vieux soûlard qui a bien du mal à contrôler son andat, Stérile. Celui-ci qui se sent prisonnier de son « maître » cherche à se libérer de ses chaînes et fomente un complot pour précipiter sa chute...

    Vous l’aurez compris, ici, tout est question d’intrigues politiques, de retombées économiques et l’univers de Daniel Abraham est extrêmement codifié. Rien n’est laissé au hasard. Pour preuve en est cette façon de transmettre ses sentiments et émotions à son interlocuteur à travers de « poses » , une certaine manière de placer ses mains et son corps : ironique, confus, moqueur, respectueux, chaque expression possède une posture pré-définie et seuls les personnes instruites peuvent comprendre toutes les subtilités de celles-ci. Même les échanges verbaux sont soumis à des règles strictes, patrons et employés, maîtres et élèves, chaque catégorie emploie un suffixe qu’il appose au nom de son interlocuteur en signe de respect. Exactement comme au Japon, où il existe différents honorifiques à utiliser selon à personne à laquelle on s’adresse (-san, -kun, -sama, -sensei,etc.). Les lecteurs de mangas et autres habitués de lectures japonaises ne seront donc pas dépaysés ici. Le roman est donc très codifié et il faut prendre un certain temps pour saisir pleinement toutes ses subtilités. Néanmoins, ces règles n’entravent en rien le rythme du récit et le lecteur ne se perd jamais vraiment, tout étant clairement exprimé.

    La saison de l’ombre se définit donc comme un roman intéressant, intelligent, plein de subtilités et complexe (sans être compliqué). Daniel Abraham sort des sentiers battus en n’empruntant aucun code de l’héroïc fantasy, ni même de la dark ou de la high fantasy, la tétralogie des cités de lumière faisant fi des ingrédients de base du genre et se révélant vraiment comme un roman à part. Pas de quête initiatique, pas de chasse aux artefacts magiques, pas de belles princesses ou de combats épiques ici, et finalement, c’est assez reposant et plutôt agréable. Si vous aimez votre fantasy pleine de bruit et de fureur, d’action, de batailles, ce roman n’est définitivement pas fait pour vous et vous serez certainement déçu et vous ennuierez tout le long du tome.

    La narration est rythmée, mais régulière, sans accélération, on sent que tout est planifié, posé et il ne faut pas s’attendre à des révélations palpitantes et à des retournements de situation en veux-tu en voilà. Ce n’est visiblement pas le but. Les sentiments, les attitudes, les relations entre les personnages sont mises en avant et Daniel Abraham nous pond des personnages, principaux ou secondaires, à la personnalité fouillée, aux sentiments complexes et anti-manichéenne au possible. Chaque personnages possède une faille, des imperfections, des défauts, ce qui les rend très réels et charismatiques. Que ce soient Stérile l’andat, Heshai le vieux poète bourru, Otah le poète raté ou Maati l‘apprenti, tous ont un rôle à jouer et aucun n’est parfait. Daniel Abraham casse une fois de plus les codes de la fantasy : pas de magnifique princesse, de chevalier noir, de magicien sublimé. Quelle bouffée d’air pur et audacieuse ! Une fantasy plus adulte en somme, mûrement réfléchie, posée, qui ne pétarade pas mais se déguste avec tous les honneurs d’un nouveau plat aux saveurs différentes. J’en prendrais bien un deuxième service moi...