Ombres portées

Ariana Neumann

Les Escales

  • Conseillé par (Libraire)
    20 octobre 2021

    BOULEVERSANT

    Pour Ariana Neumann, l’autrice de ce passionnant récit, c’est une photo sur une carte d’identité de son père découverte à l’âge de huit ans qui est à l’origine de l’enquête entamée quarante ans plus tard, elle qui, enfant, rêvait déjà d’être détective ». « Papa ne s’appelait pas Hans. Il mentait sur son nom et sa date de naissance ». Et de pleurer auprès de sa mère: « Non. Non. Maman. Non. Il n’est pas la personne qu’il prétend être. Ce n’est pas lui! ». Le document terrifiant est une pièce d’identité d’octobre 1943 et sous la photo de son père, ou de celui qui dit être son père, est collé un timbre à l’effigie d’Hitler.

    A ce document vont peu à peu s’ajouter des boites en carton retrouvées dans la famille, emplies de documents officiels, de photos jaunies et racornies, de correspondances. Il y’a loin de Caracas, où vit désormais, solidement implantée et respectée la famille Neumann, aux années de guerre en Tchécoslovaquie. Un éloignement temporel et géographique d’autant plus important que Hans, n’a jamais rien dit, s’est même mué dans un silence total. Il faudra la vieillesse et l’approche de la mort pour qu’il laisse à sa fille quelques pièces muettes d’un puzzle qu’elle devra reconstituer pour trouver une vérité.

    De mels en courriers, de traductions en visites, de souvenirs en recherches, Ariana Neumann va faire de son récit d’enquêtrice un document historique de première grandeur. Avec elle, on va suivre la vie, les espoirs d’une famille juive praguoise non pratiquante, intégrée parfaitement dans les années trente, qui va progressivement voir grandir à ses côtés une haine dont la plupart n’ose imaginer le caractère destructeur. Les restrictions de plus en plus fortes, les vexations, les interdictions de plus en plus nombreuses limitent de manière implacable les possibilités de la vie de tous les jours. L’inimaginable devient réalité et les photos familiales judicieusement reproduites traduisent cette descente aux enfers: les sourires insouciants font place à des visages graves et taiseux. L’oncle Richard sera le seul à quitter l’Europe pour les Etats Unis. « En 1939 la famille Hans Neumann comptait trente quatre membres en Tchécoslovaquie ». Vingt neuf, « âgés de huit à soixante ans furent déportés, et « seuls quatre d’entre eux revinrent à la fin de la guerre ». L’histoire de Hans est extraordinaire, un périple va l’amener à se rendre à Berlin, au coeur même de la barbarie pour transformer un adolescent insouciant et inconstant en adulte solide et volontaire.

    Ces histoires personnelles déroulent un processus progressif de destruction de l’identité juive mené avec une rationalité et une efficacité redoutables par le régime nazi. De l’interdiction de posséder un animal de compagnie, à celle de se rendre à l’école, puis à la spoliation des biens et finalement à la destruction physique des individus, la famille Neumann comprend trop tard une logique inimaginable car inédite. On suit avec des mots justes, leur peur, puis leur sidération, leur espoir et enfin leur silence.

    A ce document historique s’ajoute la découverte et la rencontre bouleversante d’une fille avec son père, homme d’affaires reconnu mais hanté de cauchemars, qui lui laisse à sa mort une petite poupée, comme une invitation à découvrir sa signification. Elle va vers lui en écrivant, elle ouvre les montres qu’il collectionnait, comme pour vivre les secondes à venir et ne jamais revivre les minutes passées. En cherchant son père, avec ce témoignage poignant, elle raconte l’Histoire.