L'élégance du hérisson

Muriel Barbery

Gallimard

  • Conseillé par
    7 février 2010

    Tolstoï dans la loge de la concierge

    Roman de Muriel Barbery. Lettre B de mon Challenge ABC 2009.

    Renée Michel est concierge d'un hôtel particulier dans un beau quartier parisien. Pour tous les résidents, Madame Michel est le stéréotype de la gardienne d'immeuble, revêche et inculte. Or Madame Michel dissimule sous des dehors austères une richesse d'esprit hors du commun. Grande admiratrice des auteurs russes, tout particulièrement de Tolstoï, elle cultive son image de veuve acariâtre et bornée pour mieux jouir en secret des merveilles artistiques et intellectuelles qu'elle consomme en fin gourmet. Littérature russe, peinture anglaise, cinéma japonais, philosophie phénoménologique, tout y passe. Alors, quand Madame Michel se trahit, elle ne sait plus vraiment à qui parler, ni de quoi. La petite Paloma aux penchants suicidaires, du quatrième étage, perce à jour la concierge érudite. Le nouveau résident du cinquième, Kakuro Ozu, esthète et humaniste, ne se laisse pas non plus duper par l'apparente bêtise de la gardienne. Entre ces trois êtres se nouent des relations d'amitiés et d'émulation intellectuelle. Ils se livrent, avec jubilation, à une analyse fine, insolente et ironique de leur époque et de leur entourage. Tout le monde est crucifié sur l'autel de leur verve assassine, de la bourgeoise névrosée aux chiens permanentés.

    En 2007, il y a eu Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel. En 2008, ce fut Journal d'une femme adultère de Curt Leviant. Pour 2009, j'annonce L'élégance du hérisson comme roman de l'année! J'en avais tant entendu vanter les merveilles ou énumérer les défauts que j'ai pris mon temps avant d'en commencer la lecture. Si j'avais su... Dès la première page, j'ai ressenti cette sensation qui m'est familière, bien que rare: la certitude d'être en relation avec LE livre, celui qui, parmi tant d'autres, m'empêchera de dormir avant d'en avoir atteint la dernière page. J'ai été plus que séduite, enchantée dirais-je, par la qualité de la narration. On touche vraiment avec ce texte à ce que j'appelle dans mon petit jargon à moi, hérité de deux ans de khâgne, l'art du récit. Pas de temps morts inutiles, pas d'effets superfétatoires. J'ai particulièrement apprécié la construction du récit, avec les deux voix narratrices, celle de Madame Michel et celle de Paloma. Ce sont deux points de vue sur l'existence, l'une du haut de l'expérience, l'autre riche de bon sens élémentaire. Ma sensibilité grammaticale de khâgneuse a été touchée par les déclarations d'amour à la langue française. J'en livre ci-dessous quelques morceaux choisis.

    P 84: "Je suis esclave de la grammaire [...], j'aurais dû appeler mon chat Grévisse." dixit Madame Renée

    P 168: "Moi, je crois que la grammaire, c'est une voie d'accès à la beauté. Quand on parle, quand on lit ou quand on écrit, on sent bien si on a fait une belle phrase ou si on est en train d'en lire une. On est capable de reconnaître une belle tournure ou un beau style. Mais quand on fait de la grammaire, on a accès à une autre dimension de la beauté de la langue. Faire de la grammaire, c'est la décortiquer, regarder comment elle est faite, la voir toute nue, en quelque sorte." dixit Paloma, qui continue comme ça pendant encore 20 lignes que je vous laisse le plaisir de découvrir.

    Après lecture de telles délices, que dire de l'adaptation cinématographique de ce livre par Mona Achache, qui réunit Josiane Balasko et Garance le Guillermic?

    Une réussite! J'ai entendu beaucoup de mauvaises critiques au sujet de cette adaptation, et j'affirme qu'elles sont non fondées! Pour une adaptation, il n'y a rien de grossier dans la réalisation. Mona Achache relève des paris difficiles et contourne avec habileté des écueils dangereux. Je regrette un peu la saveur du texte de Muriel Barbery, mais l'interprétation des acteurs compense sans aucun doute les coupes faites dans la narration. Josiane Balasko, tout particulièrement, fait montre d'une grâce délicate et délicieuse.

    Je m'en tiendrai là pour la critique du film. Je suis plus douée, je pense, pour critiquer les livres...